Dans le tourbillon by José Antonio Labordeta

Auteur:José Antonio Labordeta [Labordeta, José Antonio]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Attila
Publié: 2015-02-02T05:00:00+00:00

Assise dans le fauteuil d’osier, Dolores écoutait les allées et venues de la bonne qui lavait, dans la cuisine, le peu de vaisselle qu’elle avait utilisée pour son repas. Cela faisait plusieurs jours – depuis la mort de Severino – qu’elle ne s’alimentait presque pas, et depuis ce matin-là, elle n’était pas sortie de chez elle. Maintenant, à l’heure où le soleil mettait le village à la sieste, et que de la rue ne montait aucun bruit, elle restait face au balcon, les yeux mi-clos, perdue dans les souvenirs des derniers jours, tout en écoutant la chansonnette que la servante fredonnait dans la cuisine.

Depuis la fuite de Braulio, elle s’était sentie glisser, pas dans un puits obscur et sans issue, mais dans une placide douceur qui lui faisait oublier les repas, la rue et même l’église où depuis son enfance, elle s’était rendue quotidiennement, un peu pour échapper à son logis, à son père, à sa mère et à son frère, et un peu, également, parce qu’assise sur les bancs cirés, et dans l’ombre légère de la nef, entre les odeurs de cire et d’encens, elle avait la sensation d’être heureuse et de revenir aux jours incertains de l’enfance, les seuls dont elle se souvenait avec un peu de joie et de satisfaction. Maintenant, elle-même se sentait mal à l’aise au milieu de ce laisser-aller, de cette passivité. Elle parcourait la maison sans aucun motif, et revenait toujours vers ce fauteuil d’osier – il lui avait été interdit durant tant de temps ! –, et elle s’y installait des heures entières, écoutant les cloches de l’horloge de l’église, les voix des gens dans la rue, les aboiements des chiens ou les cris des enfants. Depuis la matinée tumultueuse où la salle à manger s’était remplie de gens hurlants et de visages furieux, personne, à l’exception de la servante, n’avait franchi le seuil de la demeure. Personne ne s’était soucié d’elle, ni elle de personne.

Les yeux mi-clos, elle suivit les gestes de la bonne qui rangeait la vaisselle dans le buffet à la glace brisée. À travers ses cils à demi baissés, elle apercevait la gamine, et elle souriait en son for intérieur, en voyant avec quel soin extrême elle rangeait les choses dans leurs tiroirs respectifs. La jeune fille revint peu de temps après, et elle entreprit de nettoyer la toile cirée à fleurs de la table de la salle à manger avec un chiffon humide, en recueillant dans le creux de la main droite les miettes de pain tombées lors du repas. Elle allait regagner la cuisine quand Dolores lui demanda d’une voix douce :

— Quand te maries-tu, Ignacia ?

La jeune fille sursauta, et, dans un léger haut-le-corps, elle répondit :

— Mais je n’ai pas de fiancé, mademoiselle !

— Pourtant, à ce que l’on m’a dit, on t’a vue avec un garçon autour des glacières.

— J’y suis allée quelques fois, dit la jeune fille en souriant, avec Indalecio, le garçon du fournil, mais ce n’était qu’une simple promenade.

— Marie-toi

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